
Le temps passe et le systema n’est toujours pas bien défini. Sa nature protéiforme en est une raison. La vision des pratiquants en est une autre. On entend beaucoup que le systema est un art de survie. Je trouve cela bien dommage. Reprenons deux minutes le terme survie selon le Larousse : « Prolongation d’une activité au-delà du moment où elle semblait menacée de disparition ». Au vue de cette définition, si le systema est un art de survie, cela pose alors nettement question sur le projet de vie des gens qui le pratiquent.
Survie, vraiment ?
Nous avons la chance de vivre dans un environnement où survivre n’est tout de même pas le problème premier. Par survivre, j’entends prolonger notre existence malgré des menaces vitales permanentes. D’ailleurs, si c’était vraiment le cas, je doute qu’il y ait vraiment le temps de venir passer plusieurs heures par semaine dans une salle d’entraînement ou même de parler de survie sur internet ou dans la campagne de communication…
Si quelqu’un qui enseigne le systema estime vraiment qu’il fait de la survie dans notre environnement, il y a des questions à se poser sur ses choix de vie et par conséquent sur sa capacité à amener quelque chose de positif dans la votre…
Donc au mieux, dans ce cadre c’est un style de self-défense qui permet de se protéger éventuellement d’une agression violente. Paradoxalement là aussi, si le systema est bien pratiqué, cela ne devrait simplement pas arriver. C’est cependant un style améliorant la capacité d’adaptation. Mais bref, en ce qui me concerne, quand on fait du systema, si on le fait pour se préparer à la survie, c’est qu’il y a un problème. Il est vrai qu’il est plus facile de se projeter sur des situations hypothétiques que de déjà gérer le quotidien!
Le systema, un art de vie
Avant de penser à survivre, il est plus intéressant de se donner les moyens de bien vivre. S’entraîner à survivre revient un peu à s’entraîner à éviter des voitures plutôt qu’à traverser au feu rouge. Alors oui, au feu rouge il peut y avoir une voiture qui arrive mais si vous avez été vigilant ça devrait bien se passe, elle ne se téléporte pas à priori. Et puis même, si elle vous percute avec toute la malchance du monde, est-ce que ça vaut le coup de passer des heures et des heures à apprendre à rouler pour éviter une voiture ? Si votre réponse est oui, comment vous faîtes pour vous préparer au pot de fleur qui vous tombe dessus quand vous marchez dans la rue ? Ou tout autre phénomène totalement incontrôlable et peu prévisible ?
En fait, il y a une solution, c’est cultiver son attention. Entraîner sa capacité à lire l’environnement sans être entravé par nos préjugés, par notre bruit mental. Il y aussi notre capacité à prendre une bonne décision correctement mise en œuvre par notre corps qui lui-même n’est pas coincé par nos tensions internes. Voilà ce à quoi doit mener le systema. Développer des qualités qui nous permettent de ne pas avoir à nous retrouver en situation de survie. Mieux, ces qualités doivent donner une capacité d’adaptation telle qu’elles vous permettront de vous faire une place là où vous le souhaitez, que ce soit professionnel, social, géographique ou que sais-je. Un bon pratiquant de systema se juge à sa vie dans son ensemble, pas à sa capacité à faire du tir (sinon, c’est un pratiquant de tir), à boxer (sinon, c’est un boxeur), à faire des acrobaties (sinon c’est un acrobate). Et de toute façon, un spécialiste de chacune de ces disciplines jugera toujours que le niveau du pratiquant de systema est moins bon sauf cas exceptionnel.
Par contre, est-ce que le pratiquant est bien intégré socialement ? Est-ce qu’il est capable d’atteindre les objectifs qu’il se fixe ? Est-ce qu’il est soumis à des sauts d’humeur ? Son mental est-il influencé par son environnement ? Est-il fiable ? Est-il toujours entouré de problèmes divers et variés ? Est-il capable de ne pas enseigner le systema sans que cela n’impacte sa vie ?
Mikhail Ryabko a dit dans une interview que son but dans l’enseignement du systema était de faire des gens normaux… C’est-à-dire le plus libres possibles dans leur choix et la manière de les matérialiser.
Comment s’entraîner pour avoir une meilleure vie ?
Le systema a ceci de particulier qu’il forme les gens en utilisant l’art martial comme outil. Néanmoins, de la parole du fondateur, être un combattant, ce n’est pas la finalité. Cela peut éventuellement être un moyen dans certaines situations qu’il ne faut pas occulter mais qui ne nous concernent globalement pas aujourd’hui.
Pourquoi cette façon de faire est intéressante ? Pour comprendre cela, il faut accepter une logique particulière qui est que le corps est l’expression de notre psyché. Une psyché stable donne un corps stable. Une psyché mobile permet un corps mobile. Ceci signifie que le corps devient un moyen parfait pour tester notre psyché. Toutes les qualités difficiles à travailler nécessaires mais dans la vie quotidienne trouve un reflet dans l’utilisation du corps. L’entraînement devient alors un lieu de diagnostic et de correction.
Je discutais récemment avec Vladimir Zaykovskii et je lui disais que j’avais moins de temps pour m’entraîner à cause de mes activités. Il m’a répondu que ce n’était pas grave, l’entraînement, ou plutôt la progression se fait dans ces activités de la vraie vie. L’entraînement n’est là que pour faire un point sur notre état et notre niveau. Il avait totalement raison.
Concrètement, en apprenant au corps à bouger sous la contrainte, à sentir le mouvement externe pour l’accepter et bouger avec plutôt qu’y réagir, en rend la psyché beaucoup plus plastique. Par l’effort soutenu, on va travailler sur le maintient à un état stable la psyché. Physiquement aussi, le corps est plus souple tout en étant plus dense et plus stable, donnant une meilleure santé. En travaillant sur le partenaire, en trouvant ses tensions, en lisant son comportement, on apprend à être de plus en plus empathique. Bref, que des qualités permettant d’atteindre ses objectifs.
On dit souvent que les arts martiaux développent ces qualités et c’est en partie vrai mais en systema, l’art martial est spécifiquement mis au service du développement de ces qualités particulières.
Donc non, le systema n’est pas un art de survie parce que si vous êtes dans un état de survie, c’est que vous avez mal pratiqué. C’est avant tout un art pour mieux vivre.
Et la survie en combat alors ? Et s’il y a un effondrement civilisationnel ???
Mais pourquoi diable voulez-vous tant être dans un combat ? Quelque chose à vous prouver ? Ou à prouver à quelqu’un ? Le combat à mains nues ou à l’arme blanche est une situation chaotique, peu prévisible où la survie tient une fois l’assaut engagé plus de la chance que du talent. Vous pouvez être le meilleur combattant du monde et totalement bien gérer le crétin qui vous agresse, vous n’êtes pas à l’abri de vous faire tirer dans le dos par l’ami du dit-crétin.
De plus, à l’heure des armes qui tirent à plusieurs kilomètres, des drones, des bombes, des agents chimiques ou biologiques voire même des attaques informatiques, qu’est-ce que vous voulez faire avec des coups de poing ?
La partie martiale de la discipline doit vous permettre d’anticiper les situations. C’est votre meilleure chance. Sentir dans votre dos ou dans une pièce que quelqu’un est en train de s’énerver, ça c’est utile. Pouvoir repérer à la démarche, au regard, au mouvement, brefs aux tensions un prédateur potentiel, ça c’est utile. Toute la pratique martiale du systema développe ces qualités. En terme de combat évidemment vous apprendrez quelque trucs et votre corps étant bien plus libre pourra réagir de façon réflexe et donner de bons résultats mais encore une fois, si ça marche, aucune fierté à avoir, remerciez le ciel d’avoir eu de la chance.
Un grand combattant en situation de guerre, c’est quelqu’un qui s’entraîne peut être beaucoup, mais anticipe énormément pour contrôler son environnement et qui a de la chance. Lisez la vie de Minamoto Musashi pour voir comment survie un grand guerrier, c’est édifiant. Une discussion entre Vasiliev et Martin Wheeler qui a été rapporté par ce dernier était la suivante. Martin s’entraînait bien et dominait largement ses partenaires. Vladimir est passé le félicitant et lui disant que dans une cage ou un ring, il donnerait du mal à beaucoup de monde qu’il connaissait. Martin était content mais juste après, en partant, Vladimir lui dit, mais ces gens-là t’auraient tué avant que tu ne montes dans la cage.
Amener le problème là où on a la situation en main, voilà la partie combat du systema.
En cas de situation globalement dégradée, l’important pour augmenter vos chances de survie pour le coup sera d’où vous partez, vos ressources et votre capacité d’adaptation. Eh bien je pense que vous avez compris qu’on a déjà traité ce problème si la pratique est axée sur une amélioration de la vie quotidienne.
Si en plus vous voulez vous intéresser à ce type de problématiques, des stages avec des organismes comme le CEETS de David Manise me paraissent plus adapté pour répondre au problème. Mais attention, toucher à tout ne veut pas dire savoir s’adapter, cela veut dire accumuler des choses. Or, l’accumulation c’est lourd et cela peut être un handicap pour s’adapter vite…
Se focaliser sur ce qui est important, un curseur dans la pratique
En fait, plus on avance dans le systema, plus cela devient évident. En ayant une psyché plus disponible, en ayant moins d’agressivité car moins de tensions, en étant moins affecté par l’environnement, tout ce que je viens de dire là est logique. L’important ne se dévoile quand le superflu n’est plus là pour le cacher.
Voilà à quoi doit mener le systema, se libérer de la peur de l’agression et de l’envie d’y répondre. Au lieu de ça, le systema vous permettra de trouver la place où vous pourrez vous facilement anticiper les situations pour vous y adapter. Et si par malheur un effondrement total se produit, vous partirez avec de meilleurs chances grâce à cet environnement social, matériel, sanitaire que vous vous serez crée.
L’approche par le corps du systema à ceci d’unique qu’elle vous permettra de rendre votre psyché plus libre rapidement et vous permettra d’avoir une vision très objective de son état.
Bref, quittez la survie et venez plutôt améliorer votre vie !
A bientôt en cours
Yvan
Merci pour cet article qui replace parfaitement le sujet de la « martialite » en général et du Systema en particulier
Super bien dit, merci pour tout ton travail 😉👍